Thomas Mur est un jeune Français installé au Bénin. Son essai « Moins Occidental » nous parle de l’Afrique réelle mais aussi, en creux, de la culture européenne dont il est issu.
L’auteur expose avec acuité le fonctionnement des sociétés traditionnelles dont nous avons encore le souvenir et l’empreinte en Europe, malgré le grand virage engagé vers le modèle libéral social-démocrate.
La façon de concevoir notre rapport à l’autre est déterminante dans la forme sociale qui émerge au sein d’une communauté. Dans la société traditionnelle africaine, Thomas Mur expose cette relation en termes de liens moraux, contractés les uns envers les autres au fil des services rendus et des dettes morales qui en découlent. Le statut social de la personne dépend de sa capacité à assister autrui, notamment sur le plan matériel puisque la question des ressources se pose avec beaucoup plus d’acuité en Afrique qu’en Europe. L’homme de statut social élevé n’accumule donc pas de richesses comme sous nos latitudes, mais consacre ce qu’il gagne aux besoins de ceux qui n’ont pas ses aptitudes. Son habileté, son intelligence et sa magnanimité font de lui un chef, un guide et un arbitre reconnu au sein de la communauté. En aucun cas ses talents ne l’affranchissent de la vie en société, il se trouve au contraire au centre de l’activité.
Comme le montre Thomas Mur, l’interdépendance des individus est vécue comme un état de fait dans la société béninoise lorsqu’en Occident elle est perçue comme un fardeau potentiel dont il s’agit de se débarrasser. Les anciens demeurent au milieu des leurs tandis que dans les sociétés occidentales, on compte sur l’État-providence pour gérer les « parcours de fin de vie ». Quant à l’organisation de la place du marché, Thomas Mur décrit celle-ci comme un lieu d’échanges où chacun possède une bonne connaissance des liens moraux tissés au fil du temps, dans une organisation à taille et à visage humains. Au contraire, en Occident, les différents marchés sont des espaces de désintermédiation où les échanges de biens et de services n’engagent aucune autre obligation que contractuelle entre fournisseurs et clients. Là où l’Occident prétend dématérialiser l’échange, il le matérialise à l’excès du point de vue traditionnel africain en le déshumanisant, en le vidant de toute dimension morale et symbolique.
Si la modalité relationnelle possède en elle-même une gestion des tensions latentes entre individus, on peut considérer que les liens moraux intègrent et supportent ces tensions. Ce système d’échange et de rétribution à visage humain possède en lui-même un puissant régulateur de la violence sociale.
La christianisation de l’Europe et l’éthique moderne de la société ouverte
Le fonctionnement des sociétés traditionnelles africaines suppose une faible distance culturelle entre ses membres mais également une proximité physique, puisque le filet relationnel s’organise entre individus se connaissant réellement. L’organisation sociale est efficace à l’échelle d’un gros village ou d’une petite ville. Elle implique une distinction d’un « nous » et d’un « eux » selon des critères spatiaux assez simples. La possibilité d’établir de façon durable et pérenne des liens sociaux avec tout individu en dehors du village parait dès lors difficile et la société apparaît comme plutôt fermée.
Si les sociétés occidentales modernes diffèrent du modèle traditionnel dans la définition de leurs frontières – ou de leur clôture opérationnelle pour reprendre une expression systémique -, c’est en partie parce que le critère spatial s’est lentement effacé devant le critère culturel rendant possible l’existence de communautés non plus territorialisées, mais étendues. Dans le cas de l’Occident, on peut spécifiquement ajouter la reconnaissance de l’individu et de son libre arbitre, précepte de base de l’éthique des droits de l’homme.
La persistance du lien communautaire
Dans nos sociétés où l’individu s’est autonomisé et partiellement affranchi de son prochain, tout lien communautaire n’a pas disparu. Si le lien communautaire subi peut être vécu comme un fardeau par l’individu, une existence sans aucun lien communautaire peut s’avérer tout aussi douloureuse. Les démocraties libérales, on le constate, continuent d’héberger en leur sein une mosaïque de groupes communautaires basés sur les critères les plus variés, allant du regroupement ethnique au regroupement religieux, en passant par l’association politique ou culturelle.
Les dérives de la violence dans un monde anonymisé
Bien que l’on puisse constater une persistance du lien communautaire en Occident, celui-ci n’a jamais été aussi peu pesant. La solitude, les sentiments d’abandon et d’exclusion sont des phénomènes bien connus sous nos latitudes où la reconnaissance sociale n’est pas acquise pour peu que l’on verse dans le cercle vicieux de l’exclusion.
L’anomie sociale peut être à l’origine du désengagement civique, de la dépression individuelle et parfois du suicide. Il s’agit là de manifestations modernes d’une violence qui, rappelons-le, existe et persiste également dans les sociétés traditionnelles mais sous d’autres formes.
La liberté, pour quoi ?
C’est la question lancinante qui se pose dans nos sociétés qui, au stade actuel de leur histoire et de leur développement, ont en bonne partie réglé le problème des moyens matériels nécessaires à l’autonomie de l’individu. Si l’autonomisation de l’individu est le produit indirect de la démocratie sociale et libérale, alors il apparaît salutaire d’imaginer l’organisation sociale dans un contexte différent si le modèle ne devait pas perdurer. En cela, l’exemple des sociétés traditionnelles africaines a beaucoup de choses à nous enseigner ; leur modèle était encore le notre il y a seulement quelques générations mais il nous est devenu étranger. Notre époque est amnésique et à ce titre, il faut considérer la diversité des organisations sociales comme un trésor précieux.
L’homogénéisation du monde aux standards occidentaux à coups d’aides financières internationales et de dérégulations n’est donc nullement souhaitable. Prétendre que l’on refuse le progrès à l’Afrique au prétexte que l’on aurait des réserves face au nivellement de son mode de vie selon nos standards, voilà peut-être où se loge le réel mépris à l’égard des Africains. Un mépris qui, du reste, ressemble celui que l’homme enraciné d’Europe peut ressentir face aux discours cosmopolites de ses dirigeants…
L’Afrique a beaucoup de choses à nous enseigner sur ce que nous avons été et sur le mode d’organisation social vers lequel nous pourrions à nouveau nous diriger si la modernité n’était, pour l’Occident, qu’une parenthèse de son histoire.

On a coutume de dire que la voie du milieu est le chemin emprunté par les tièdes. Perçu ainsi, on peut confondre celui qui est vaguement d’accord avec tout avec celui qui n’est que partiellement d’accord avec chacun.
Des années de réflexion et de lectures personnelles, une envie de produire un article qui se transforme en un début d’essai, et c’est l’idée d’être publié qui, petit à petit, fait son chemin. Passée la surprise d’envisager une telle option alors que je ne l’avais jamais clairement formulée, vient le temps de l’enquête. Je découvre un nouvel univers qui m’était jusque-là inconnu : l’édition.


Comme la plupart des marchés, celui du livre ne reste pas étranger à la révolution du numérique. J’y vois une formidable opportunité en même temps que le développement de certains écueils. Il me semble assez évident que je suis bénéficiaire de cette démocratisation de la publication puisqu’aujourd’hui, il existe une formule économique pour faire publier mon ouvrage. Par ailleurs je n’ai pas souhaité m’orienter vers le pure auto-publication. Sans préjuger d’un tel choix, celui-ci me semble périlleux puisqu’il écarte tout le savoir-faire des professionnels de l’édition.

De Michel Houellebecq, je n’ai pas lu toute l’oeuvre, mais certainement tous les romans. Peu avant les années 2000 sortait Les Particules élémentaires. Le roman était un succès, et comme la revue Les Inrocks en disait du bien… je me suis méfié. Le reste de la presse, en revanche, en disait plutôt du mal. Le Nouvel Obs’, Télérama… les mutins de Panurge semblaient choqués. Il y avait des « polémiques », si bien que je décidais de me procurer l’ouvrage. Il commençait bien, se lisait bien. C’était clair et agréable, sans complications ni scénario alambiqué pour cacher un travail creux ou mal mené. On ressentait une profondeur des personnages, on appréciait la description de leurs sentiments, de leurs vies intérieures. Au fur et à mesure que j’avançais, la bonne impression se confirmait. Quand arriva la chute, ce fut une claque. Je venais de finir l’un des meilleurs romans que j’aie jamais lu.

Dans La Société de confiance, paru en 1995, Alain Peyrefitte montre que la confiance a été un élément clé dans le décollage économique de l’Europe de la Renaissance. L’auteur insiste sur l’importance de la confiance accordée par les individus aux institutions. Sa thèse consiste à faire la distinction entre l’Europe protestante du nord et l’Europe catholique du sud où l’Eglise a longtemps cherché à conserver son magistère moral sur les consciences, au risque de dénigrer l’autonomie des individus et leur capacité d’initiative. Dans la sphère protestante, la société civile a placé l’autonomie de l’individu au centre de son projet. L’individu responsabilisé a été la clé de voûte du décollage économique d’une région qui, au regard de ses atouts naturels, n’avait rien pour elle si on la compare à l’Europe du bassin méditerranéen.
L’auteur conclue à une diffusion de l’anomie sociale sous l’effet du multiculturalisme, tout en maintenant le pari des sociétés ouvertes : passé la phase de déstabilisation, la diversité finit par apporter un enrichissement. Il s’agit donc de gérer au mieux la période transitoire.