Dans La Société de confiance, paru en 1995, Alain Peyrefitte montre que la confiance a été un élément clé dans le décollage économique de l’Europe de la Renaissance. L’auteur insiste sur l’importance de la confiance accordée par les individus aux institutions. Sa thèse consiste à faire la distinction entre l’Europe protestante du nord et l’Europe catholique du sud où l’Eglise a longtemps cherché à conserver son magistère moral sur les consciences, au risque de dénigrer l’autonomie des individus et leur capacité d’initiative. Dans la sphère protestante, la société civile a placé l’autonomie de l’individu au centre de son projet. L’individu responsabilisé a été la clé de voûte du décollage économique d’une région qui, au regard de ses atouts naturels, n’avait rien pour elle si on la compare à l’Europe du bassin méditerranéen.
La thèse d’Alain Peyrefitte est convaincante, soulignant bien l’éthique du protestantisme et ses vertus pour le développement économique et de l’activité en général.
Dans les années 1980, Robert Putnam s’est penché sur le capital social et sur la confiance que s’accordent les individus dans un contexte multiculturel. Dans une étude qui nous fait sortir des sentiers battus, il parvient à un ensemble de constats surprenants, trouvés dans un article du site ledevoir.com :
Conclusion [de son étude menée dans les années 2000 dans un ensemble de villes américaines] : plus la diversité ethnique est élevée,
– moins les citoyens font confiance aux gouvernements, aux dirigeants et aux médias locaux,
– moins les taux d’enregistrement sur les listes électorales sont élevés,
– moins les gens font du bénévolat ou se permettent des dons aux organismes de charité,
– moins les citoyens sont enclins à participer à des projets communautaires,
– moins ils ont des amis ou des confidents,
– plus les gens sont des téléphages et se disent d’accord avec l’énoncé «la télévision est mon divertissement le plus important».Autrement dit, le capital social est alors plutôt asocial !
Ces constats viennent battre en brèche plusieurs lieux communs relatifs aux sociétés multiculturelles :
- Le multiculturalisme n’agit pas de façon exclusivement bénéfique et univoque
- Le multiculturalisme, même s’il a tendance à assigner chacun à une communauté d’appartenance, induit une baisse de confiance des individus entre eux, y compris au sein de leur propre communauté.
L’auteur conclue à une diffusion de l’anomie sociale sous l’effet du multiculturalisme, tout en maintenant le pari des sociétés ouvertes : passé la phase de déstabilisation, la diversité finit par apporter un enrichissement. Il s’agit donc de gérer au mieux la période transitoire.
N’est-ce pas ce que nos politiques espèrent pour l’Europe ? Le pari semble d’autant plus osé que nos dirigeants ont souvent pris le parti d’ignorer les tensions induites par la diversité dans les zones périphériques des métropoles européennes. On a parfois l’impression que l’avenir de l’Europe se joue à quitte ou double parce qu’un tel projet serait dans le sens de l’Histoire.
C’est une erreur de croire que la confiance se pilote par le haut ou qu’elle s’inocule avec des discours moralisateurs et des slogans simplistes. Le magistère moral des élites n’a pas été supprimé avec l’avènement de la société laïque. La confiance est un élément clé dans la qualité du lien social.
Sans confiance, point de société.
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