La voie du milieu

cheminOn a coutume de dire que la voie du milieu est le chemin emprunté par les tièdes. Perçu ainsi, on peut confondre celui qui est vaguement d’accord avec tout avec celui qui n’est que partiellement d’accord avec chacun.

Dans un espace globalement tiède, la température moyenne est la même que dans un espace comportant la même quantité de chaleur mais compartimenté en une zone chaude et une zone froide. Dans un espace uniformément tiède, il n’y a aucun gradient à exploiter pour créer un flux et un mouvement. Dans un espace de température moyenne équivalente mais contrasté, le gradient rend possible un flux et une mise en mouvement.

La voie du milieu est souvent ce chemin étroit, balisé par deux potentiels, deux antagonismes, deux contradictions. Le paradoxe, parfois perçu comme une absence de réponse satisfaisante ou comme une indétermination incommodante pour la raison, est en réalité le cadre implicite qui rend possible la vie des idées. La voie du milieu est précaire, fragile, mais elle existe. Elle nous autorise à raisonner sans sombrer dans l’indécision ou, au contraire, dans le dogmatisme. Dans un milieu indéterminé, cette voie n’existe pas car il n’existe pas d’éléments de contours pour en former le tracé. Albert Camus disait que « mal nommer les choses, c’est ajouter du malheur au monde ». La pensée qui se contente de slogans, de raccourcis, d’un lexique pauvre, d’un langage flou, de consensus permettant de liquider le paradoxe, se perd au milieu d’un no man’s land conceptuel. Pour ainsi dire, elle n’est déjà plus.

On raille à juste titre ceux qui, pour ne pas s’exposer ou pour ne froisser personne, usent et abusent du « ni-ni ». Il faut pourtant régulièrement raisonner de la sorte pour décrire les phénomènes :

– En biologie : La membrane cellulaire est une clôture ni ouverte, ni fermée. Produit de l’activité qu’elle préserve tout comme gardienne de l’activité qui la produit, elle est cette frontière semi-perméable entre un microcosme cellulaire et le monde extérieur. C’est une des premières manifestation de l’identité dans l’échelle du vivant.

– Les société humaines, lorsqu’elles sont qualifiées d’ouvertes, ne sont en réalité ni ouvertes, ni fermées ; mais possèdent une structure tout en restant perméable, de façon interne comme externe, à la nouveauté et à l’innovation. La clôture opérationnelle des sociétés définit l’espace social préservant l’activité de ses acteurs en même temps que les acteurs produisent et donnent forme à cette clôture. Selon le plan sur lequel on se situe, cette clôture dessine les contours d’un territoire, d’une culture, d’un inconscient collectif etc.

– Dans la relation intersubjective, l’individu n’est ni complètement fixé sur lui-même, ni libre d’indétermination. Il est à la fois centré sur une identité propre et déstabilisé par la présence d’autrui qui lui est nécessaire pour prendre paradoxalement conscience de sa singularité. On existe en conscience dans la mesure où cette existence est attestée par le regard d’autrui.

– En géométrie des figures et des formes, mais aussi dans la nature et les sciences du vivant : La figure fractale se déploie selon une dimension non entière, ni dans la dimension « 1 » de la courbe, ni dans la dimension « 2 » de la surface. Elle se déploie de façon déconcertante comme une courbe ayant la propension à occuper une surface. L’humanité est-elle à l’image  de cette figure fractale, se déployant entre Terre et Ciel, destinée à s’élever de la Terre, avec le Ciel non pas comme objectif, mais pour tout horizon ?

Fractal 009

– D’une façon générale, la construction du cosmos ne répond ni au hasard, ni à la nécessité, même si bien sûr le hasard et la nécessité ont un rôle à jouer. Si la nécessité conditionnait la destinée du monde, comment expliquer l’émergence de la nouveauté ? Quant au hasard, il est inconcevable qu’il puisse rendre compte d’une organisation aussi poussée dans un univers aussi « jeune ». C’est la réponse brillante, par essai interposé, qu’oppose Marc Halévy à la thèse de Jacques Monod, obsolète au regard des connaissances cosmographiques acquises ces dernières décennies.

Emprunter la voie du milieu, c’est cheminer tout en restant à l’écart des réponses définitives. C’est accepter que les questions humaines appellent à des réponses soulevant d’autres questions, sans qu’il ne soit possible de parvenir au terme de cette quête, mais sans que cette quête ne soit vaine non plus. Elle s’apparente fort à une réponse favorable au désir de prolonger la vie.

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