Le taoïsme face à l’éthique

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Calligraphie de « Songe d’une nuit tranquille » de Li Bai, poète du VIIIème siècle d’inspiration taoïste

Cet article fait suite à Taoïsme : une introduction

Dans notre introduction au taoïsme, nous avons présenté les grands traits de cette pensée tournée vers la contemplation.

Si le taoïsme et le confucianisme apparaissent comme deux écoles de pensées opposées, le rapport entre ces deux philosophies est historiquement plus nuancé. Dans les numéros 1 ainsi que 2 de la revue  en ligne Anaximandre, Thibault Isabel prend pour exemple deux figures emblématiques du confucianisme : Mengzi et Xun Zi. L’un comme l’autre s’appuient sur la pensée de leur Maître Confucius, mais selon deux éthiques distinctes.

Mengzi est plus proche d’une conception taoïste considérant que c’est le naturel en l’homme qui fonde sa bonté, tandis que la société est facteur de corruption. Xun Zi, quant à lui, défend la position contraire, considérant que c’est par l’éducation et le respect des règles sociales que l’homme développe sa  bonne nature tandis qu’à l’état naturel, il ne serait que calcul et convoitise vis-à-vis de son prochain. Il y a un clivage chez les confucianistes plutôt qu’un antagonisme entre une pensée-bloc taoïste et une pensée-bloc confucianiste.

Tchouang-tseu

Illustre figure du taoïsme, Tchouang-tseu est un peu le Diogène de la Chine antique. Anticonformiste radical se moquant ouvertement de Confucius et des confucianistes, de leur morale institutionnelle et rigide, il a développé une approche philosophique proche du cynisme. Confucius étant un élève de Lao Tseu, comme le relève l’histoire ou la légende, Tchouang-tseu considère qu’il en fut l’un des plus médiocres, dénaturant l’esprit du taoïsme. À ce titre, il s’accordait le droit de se moquer de Confucius et de dénigrer ses successeurs.

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Tchouang-tseu (Zhuangzi) : figure du taoïsme radical à la manière d’un Diogène. (IXème siécle av. J.-C environ)

Tout comme le cynisme, le taoïsme semble peu se soucier d’éthique appliquée. Le taoïsme de Tchouangt-tseu est teinté de misanthropie et d’une tentation pour l’érémitisme qu’illustre bien sa vie. Pourtant, les écrits et les poèmes de Tchouang-tseu  appartiennent à l’imaginaire collectif chinois, tout antisocial que fut son auteur.

Dans sa présentation du taoïsme, Marc Halévy reproche à la pensée confucéenne de transposer les règles du Ciel immuable à la vie des hommes, conduisant à simplifier et rigidifier ses règles. C’est effectivement ainsi que Confucius conçoit la politique lorsqu’il dit que « Gouverner par la vertu, c’est imiter la polaire immobile cependant qu’autour d’elle se meuvent les étoiles ». Pourtant, l’attitude taoïste contemplative dans le non-agir ne saurait pas plus conduire à la compréhension des mécanismes en jeu dans la relation sociale ! Dans un cas comme dans l’autre, on fait l’économie de l’étude psychologique d’une humanité qui, même si elle est animée par les forces fondamentales du cosmos, possède ses enjeux propres. C’est ce que relève Thibault Isabel dans la revue Anaximandre lorsqu’il commente le Zhengmeng, oeuvre majeure de Zhang Zaï :

Le Ciel désigne le principe de l’Etre ; or, ce principe nous engage lui-même á maintenir un équilibre entre le Ciel (l’aspect spirituel ou symbolique des choses), la Terre (leur aspect matériel) et l’homme (qui unifie les deux autres dimensions). Pour être en harmonie avec le monde, pour respecter la Voie du Ciel, l’homme doit bien par conséquent accepter de jouer son rôle spécifique au sein de l’unité cosmique : il doit équilibrer en lui l’idée céleste et la nature terrestre, pour que ses désirs et ses émotions, á partir de leur substance brute, prennent la forme plus élevée de l’humanité authentique, du cœur. Un homme qui prétendrait respecter le Ciel en se tournant exclusivement vers la sphère céleste, et négligerait la part naturelle et terrestre de l’existence, aurait tout simplement échoué á comprendre le Ciel qu’il affirme servir. Le Ciel est en lui-même dépourvu d’humanité, car il n’a pas d’émotions. Mais le Ciel (l’esprit) enseigne que la vie est au mieux quand la triade cosmique s’accomplit parfaitement : la Terre (la matière) est donc elle aussi sacrée, comme l’homme. Le saint doit sacraliser la Terre en lui, en reconnaissant la valeur de sa vigueur instinctuelle, et la raffiner á travers les symboles. Ainsi la Voie du Ciel est-elle consommée, dans l’équilibre que le sujet pensant et méditant fait naître en lui entre les deux polarités constitutives de la vie, synthétisées dans le troisième terme médiateur et dialectique qu’est son humanité.

Périodes tardives de l’Orient et de l’Occident : des écueils similaires

La Chine, tout comme l’Europe, a été traversée par nombre de crises culturelles au cours de son histoire. Si la Chine moderne est parvenue à sortir de la funeste expérience communiste du XXème siècle, c’est pour suivre l’Occident dans sa course à la production et à la puissance matérielle. Tout comme l’Occident, la Chine mobilise aujourd’hui tous ses moyens pour décrocher la croissance économique à tout prix, sans considération pour les conséquences sociales, écologiques ou simplement humaines de cette fuite en avant. La Chine a mis son pragmatisme séculaire au diapason de l’efficacité technicienne, tout comme l’Occident l’a précédée dans le mouvement au nom de l’omnipotence de l’homme sur son environnement. L’un comme l’autre sont finalement parvenus au même point de dénaturation de leur propre civilisation, impliquant un risque systémique sur une activité ne s’inscrivant plus dans aucun cadre ni horizon.

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Estampe de Qi-Baishi (XIXème siècle) : Le Chant du fleuve. Évocation du sage taoïste en prise et en harmonie avec la nature

Parmi les traditions antiques susceptibles de nous sortir de l’impasse, le cosmocentrisme de la pensée taoïste nous rappelle que, loin d’être la maîtresse du monde, l’humanité n’en est que l’un de ses aspects, tandis que la nature constitue le cadre de son existence. Terre, Homme, Ciel… l’actualisation de l’un des aspects du cosmos ne peut se faire au détriment ni dans l’ignorance des autres, mais dans un mouvement dialectique conduisant à leurs mutuelles réalisations. C’est le message du Dào.

Une réflexion sur “Le taoïsme face à l’éthique”

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