En 1973, Jean Raspail écrivait « Le Camp des Saints ». On ne peut qu’être troublé par la vision prophétique de l’auteur tandis qu’à l’heure actuelle, on assiste à l’amplification des vagues migratoires en provenance de l’Afrique subsaharienne, du Maghreb ou du Machrek.
Accompagné de la préface Big Other dans sa réédition de 2002, l’oeuvre-fiction de Jean Raspail a touché du doigt une idée fondamentale qui se situe au cœur des déséquilibres en cours dans ce vaste mouvement aux conséquences potentiellement déterminantes pour tout un continent. Ce déséquilibre est à chercher dans une fausse compréhension du rapport à autrui, notamment dans un contexte interculturel.
Si les sociétés européennes peuvent sembler particulièrement avancées sur les questions de tolérance, la reconnaissance d’un « droit à la différence » pour autrui n’implique pas forcément la réciproque de sa part, sauf à considérer que ses catégories soient nécessairement les nôtres, ce qui revient paradoxalement à… nier son altérité ! C’est dans cette omission courante que se loge l’illusion humaniste de l’Occident. Ce que Jean Raspail appelle : Big Other.
Si les guerres sont rarement justes lorsqu’elles se basent sur une impossibilité de compromis avec autrui ; la défense est souvent légitime lorsque celui qui porte le conflit dans notre direction raisonne selon ce même dualisme. Lorsque, par exemple, l’une des parties raisonne en termes de rapport de force, la recherche d’un consensus peut être perçue, même si elle reflète une attitude moralement élevée, comme un signe de faiblesse ou un aveu d’impuissance, et donc une opportunité pour l’un de s’imposer à l’autre. Avoir les moyens de sa propre défense devient le corollaire nécessaire à la vertu de tolérance que l’on souhaite manifester, tant dans le respect que l’on doit à l’autre que dans le respect que l’on doit à soi-même en opposant à autrui les limites à ne pas franchir. Le recours à la force n’est pas entièrement soluble dans la tolérance.
Or cette compréhension de l’altérité, injuste dans son invitation à l’effacement de l’une des parties au profit de l’autre pour sauver les apparences de la concorde, semble cacher une autre illusion : le rêve d’unité, dont Big Other résonne comme le nom. En mettant son action en concordance avec un vaste projet d’unité basé sur la dissipation des différences, l’Europe cède à une nouvelle et dangereuse utopie.
La non reconnaissance de l’altérité annihile toute réelle opportunité de rencontre, laissant place au malaise et à la confusion. C’est là tout le paradoxe de la relation intersubjective, par laquelle un rapprochement est possible sans que ce rapprochement ne puisse conduire jusqu’au point asymptotique de l’unité. Il s’agit d’une expérience ambivalente, à la fois enrichissante et au goût d’inachevé pour celui qui s’y aventurerait animé du secret désir d’y trouver une paix et une harmonie totales. La rencontre, le dialogue entre les consciences passe par l’acceptation qu’autrui est un autre « je » sans être un autre « moi ».
Nier l’altérité au nom de Big Other, c’est passer à côté des enjeux essentiels de la rencontre. C’est rester dans l’illusion d’un dialogue avec soi-même et ne rendre service, à terme, ni à soi ni à l’autre.
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