Sculpteur de mots

D’abord une pensée-bloc et quelques intuitions,
Les images brutes affluent qu’il s’agit d’apurer,
L’écrivain se démène à la tâche audacieuse
De dresser un ouvrage à hauteur de ses mots.

Crayon en gouge d’ébauche, pages raturées,
Il a quelques idées pour esquisser la forme
Du travail à mener en vue de tutoyer
La perfection rythmique consacrant son labeur.

Le poète et ses mots tournoient dans un ballet
Où chacun tour à tour appelle l’un à l’autre,
Il a voulu son texte tant saturé de vie
Qu’il s’affranchit parfois des plans de son auteur ;

Se dirigeant lui-même vers un achèvement
Que son initiateur n’eût jamais présagé,
Le texte en gestation s’ébauche lentement,
Dessine peu à peu son propre dénouement.

On dit dans la Genèse que le premier Adam
Succomba devant Ève, dans le jardin d’Éden ;
Par la grâce de Dieu, il tomba amoureux
De celle qui fut pourtant modelée de sa chair.

Ainsi pour le poète, en verve et en émoi,
Devant le manuscrit qu’il a lui-même produit,
Figure ambivalente, créatrice et mondaine,
Sa démarche ambiguë confine au sacrilège.

Il espère néanmoins susciter l’émotion
Au rythme et à l’entrain d’un bel alexandrin,
Apporter du lyrisme, son lot d’exaltations
Aux temps contemporains ôtés de tout mystère ;

C’est même la raison d’être du sculpteur de mots.