La vie à tout prix

La vie à tout prix, tel semble être le leitmotiv des gouvernements face à l’épidémie Covid-19. Port du masque obligatoire dans les lieux publics, restriction des visites à nos proches, fermeture des lieux associatifs, couvre-feu sur les villes et les campagnes… que penser d’une époque où l’on ferme les librairies tandis que des consommateurs sans tête se ruent au supermarché pour dévaliser les rayons du papier hygiénique ?

Le nombre de décès par infection au Covid-19 se situe loin dans la liste des causes de mortalité en 2020… quand bien même il ne le serait pas, les mesures prises en son nom peuvent-elles justifier que l’on réduise l’existence au seul fait de maintenir à tout prix la vie ? Lorsqu’on ne peut que survivre sans vraiment vivre, on l’accepte faute de mieux. Lorsqu’on ne peut que vivre sans vraiment exister, on l’accepte faute de mieux. Qu’est-ce qui, aujourd’hui, nous maintient dans une petite économie de la vie, en-deçà des élans grandioses de l’existence ?

A la question du sens que nous donnons à notre vie pour en faire une existence, les réponses peuvent varier : Salut de l’âme pour les uns, attitude éthique la plus élevée qui soit dans un monde sans arrière-monde pour les autres… aucune de ces options ne semble pourtant appartenir à l’horizon de nos dirigeants. Nos sociétés sont guidées par les impératifs économiques et comptables, les indicateurs de performance.

Lorsque Socrate a bu la ciguë à l’issue de son procès, il pouvait encore fuir la cité et vivre ses dernières années en dehors d’Athènes, il a pourtant choisi de mener jusqu’à son terme son existence au mépris de sa vie. Il est resté dans nos mémoires comme un homme dont l’attitude fut suffisamment conforme à ses paroles pour que celles-ci soient commentées et méditées au fil des siècles, jusqu’à nos jours.

Socrate ou le choix de l’existence

Combien d’entre nous verront leur avenir hypothéqué par une société leur faisant porter le poids d’une dette encore aggravée par cette crise ? Combien feront le choix d’en finir avec une vie soufflée par les vents mortifères de la précarisation, de la solitude ou de l’isolement, y compris dans ces établissements où l’on restreint drastiquement les visites aux anciens ? Les mesures sanitaires actuelles sont pourtant censées les protéger…

On laisse donc partir nos aînés selon un service funéraire minimum alors que l’accompagnement des défunts est un temps privilégié pour rassembler les proches et perpétuer, dans la mémoire de ceux qui restent, la mémoire de celui qui part. Ce choix politico-administratif est peut-être celui qui, parmi tant d’autres, est le plus inacceptable et le plus obscène. Le rite funéraire est l’acte ancestral qui distingue l’homme de l’animal, nous voici donc ramenés à la vie des bêtes au nom du principe sanitaire.

La pesée des cœurs dans le rite funéraire égyptien

Les suspensions des cérémonies religieuses et des rites quels qu’ils soient, des instants de communion collective autour d’un spectacle ou d’un art vivant, des accès aux musées, aux bibliothèques, à tous les lieux de culture et de savoir… sont autant d’atteintes à ce qu’il y a de plus humain en nous. Quant aux masques qui cachent partout ces miroirs de l’âme que sont les visages, ils sont un élément supplémentaire de déshumanisation.

La vie à tout prix au mépris des élans de l’existence est une éthique de mort, tout comme le principe de précaution auquel il fait écho et qui est dramatiquement consigné dans notre Constitution. C’est à cette éthique que répondent toutes ces mesures visant à sauver des vies au mépris des conditions permettant de hisser celles-ci à la hauteur d’existences qu’en comparaison de nos quotidiens masqués et confinés, on oserait presque qualifier de réussies.

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